22/05/2025

Ce mercredi 21 mai, à l’appel des chefs de corps de l’arrondissement judiciaire de Namur, un rassemblement s'est tenu dans la cour de l’ancien palais de justice afin de protester contre la situation alarmante dans laquelle se trouve notre système judiciaire.

Ce rassemblement visait à alerter sur le sous-financement chronique qui entrave le bon fonctionnement de la Justice, l’organisation défaillante du système judiciaire et la réforme des pensions annoncée par le gouvernement, qui ne fait qu’aggraver un malaise structurel dénoncé depuis de nombreuses années. M. Christian De Valkeneer, président du tribunal de première instance, M. Etienne Gaublomme, procureur du Roi et M. Pierre Marissiaux, président des justices de paix et tribunal de police ont successivement pris la parole à l’occasion de ce rassemblement.

L'allocution de M.De Valkeneer est présentée ci-dessous : 

Ce rassemblement n’a pas pour but de défendre ce qui aux yeux de certains peut apparaître comme des privilèges. Il s’agit d’un cri lancé à la société et au monde politique pour revendiquer une Justice de qualité, au service des justiciables. Ce n’est pas le premier appel que lancent les acteurs du monde judiciaire pour exprimer pareille revendication. Il y en a déjà eu bien d’autres. Celui-ci revêt un caractère d’urgence particulièr tant la situation en beaucoup d’endroits ne cesse de se dégrader face à des attentes et des défis qui vont croissants. Il faut être sur tous les fronts en même temps : lutter contre la grande criminalité, ramener la paix dans les familles, protéger des mineurs en danger ou les remettre sur le droit chemin, œuvrer pour la sécurité routière, être le garant des droits sociaux, assurer entre les acteurs du monde économique des rapports équitables. Certes à côté de la Justice, d’autres besoins sociétaux doivent être impérativement rencontrés : la santé, l’éducation ou la défense pour n’en citer que quelques-uns. Par ailleurs, l’état de nos finances publiques est préoccupant. Le monde judiciaire n’est pas sourd et aveugle face aux multiples défis que doit affronter la société. Il est bien conscient de ces enjeux et ne cherche pas à s’y dérober. Néanmoins, aujourd’hui l’urgence est particulièrement aiguë. Elle risque, si un grand "chantier Justice" n’est pas ouvert très rapidement, de conduire dans de nombreux endroits à un délitement de la fonction judiciaire et à un retour à la loi du plus fort.

Depuis des décennies nous dénonçons :

  • Une insuffisance des cadres légaux en beaucoup d’endroits. Le tribunal de première instance de Namur a le ratio juge/greffier par habitant le plus faible de toute la région wallonne. Il doit, en outre, assumer l’ensemble du contentieux fiscal régional et fournir des greffiers pour le tribunal disciplinaire. Il n’a jamais été tenu compte de ces tâches que n’assume aucun autre tribunal de première instance du côté francophone. La mesure de la charge de travail des cours et tribunaux indique que le tribunal de première instance de Namur devrait compter 35 juges au lieu de 31. Cette situation a été dénoncée à plusieurs reprises sans que rien ne bouge. Elle handicape fortement le tribunal et ne lui permet pas de délivrer le service que le justiciable est en droit d’attendre.

Il est donc urgent que les cadres soient adaptés là où ils doivent l’être et sur base de données objectives.

  • Les absents de longue durée ne sont pas remplacés, ce qui produit un double effet. Le travail est reporté sur les présents dont la charge va au-delà de la normale avec le risque qu’ils tombent à leur tour malades. A l’heure où je vous parle, 5 juges sur 31 sont absents au sein du tribunal de première instance. Cela représente 15% de l’effectif au cadre et 25% si l’on tient compte de l’effectif que devrait comporter le tribunal en fonction de sa charge de travail. Il est indispensable qu’une solution soit trouvée à cet égard. Quelle entreprise pourrait travailler dans de pareilles conditions : je n’en connais qu’une : la Justice. A dater d’aujourd’hui tous les juges ou greffiers qui viendraient à être absents ne seront plus remplacés et leurs audiences seront reportées à plusieurs mois, voire plus. Depuis des années, le "bateau Justice" est maintenu à flot grâce au grand niveau d’engagement des équipes. On a atteint, aujourd’hui, un point de saturation et il faut se résigner à prendre cette décision car il n’est plus possible d’exiger davantage de nos équipes. Il ne s’agit pas de prendre le justiciable en otage mais de reconnaître que les limites de la bonne volonté sont dépassées.

Cette situation déjà dénoncée à de multiples reprises ne semble pas émouvoir le monde politique. Il est urgent que des solutions soient trouvées afin que les absents de longue durée soient remplacés.

  • Les procédures de recrutement sont d’une longueur totalement anormale. Quelle entreprise pourrait se permettre le luxe d’attendre six mois, voire plus, avant qu’un de ses employés soit remplacé ? Aucune sauf à vouloir tomber en faillite. La Justice a échappé jusqu’ici à la faillite grâce à la motivation de ses acteurs qui ne cessent de compenser tantôt les absents pour cause de maladie, tantôt les départs des collègues. A une époque pas si lointaine, chaque place était immédiatement remplacée. Aujourd’hui, les mois s’écoulent sans qu’il n’y ait plus de certitude que la place soit ouverte.

Le monde judiciaire est fatigué de devoir préserver l’Etat de la faillite de sa Justice.

Des solutions doivent être trouvées rapidement afin de remédier à ce problème.

  • Depuis 2005, on parle de l’autonomie du pouvoir judiciaire. Deux décennies plus tard, presque rien n’a évolué. Tous nos moyens sont gérés de manière centralisée par le SPF-Justice. Ce mode de gestion est totalement obsolète. Il ne permet pas d’assurer une bonne adéquation entre les besoins et l’allocation des moyens. Cette centralisation exige sur le terrain une énergie démesurée pour obtenir une petite partie de ce qui est nécessaire pour assurer le fonctionnement quotidien.

Il est urgent que le monde politique se saisisse de la question de l’autonomie et que celle-ci progresse très rapidement.

Il serait paradoxal de se battre pour une meilleure Justice en utilisant des moyens qui pénalisent le justiciable. Nous ne pouvons soutenir des actions qui le préjudicient sans pour autant porter de jugement sur ceux qui les ont choisies. Par contre, nous soutiendrons toute action dépourvue d’impact sur le citoyen consistant, notamment, à ne plus percevoir des revenus financiers au profit du Trésor. Il convient de ne pas perdre de vue que si la Justice coûte, elle rapporte aussi de manière non-négligeable.